« Ce qui explique pourquoi j'ai l'impression d'avoir fait un bond dans le temps…Chez qui allons-nous dîner ? La reine Elizabeth ? Première, cela s'entend…Ah-ah ! » Sa petite taquinerie m’arracha un sourire hautain. Je me redressai, arquai les sourcils et la toisai de toute ma hauteur. « Médisante et mauvaise langue, en plus de ça ! Ah, tu me le paieras. » Je lui aurais volontiers collé l’addition sous le nez, hélas madame faisait preuve de réticence. Diable ! « Continue comme ça et je me fais du Asher à la broche ce soir… » Lâcha-t-elle en montrant les crocs –au sens figuré bien sûr. Je fis mine d’être effrayé et papillonnai des paupières. « Oh, j’ai peur ! » Je la lâchai et me couvris la bouche, l’air passablement terrorisé. « Le grand méchant loup va me croquer tout cru ! » Un gloussement m’échappa. Le sourire aux lèvres et les yeux pétillants de malice, j’indiquai la sortie de mon tombeau et invitai ma douce à l’emprunter. « Il attendra le dessert, je suppose. » Cette réplique, lourde de sous-entendus, accompagnait l’un de mes sourires les plus typiques. La soirée risquait fort de se terminer sous la couette, foi de Blackstone !

Natasia sortit la première. Même si je la suivais de très près et fermais la marche, elle ne se priva pas de m’asticoter. « Eh beh papy, ça s'arrange pas les rhumatismes… » Je grognai et lâchai ; « J’ai six siècles, je te rappelle ! Ah, les jeunes… » Achevant ma phrase, je disparus et réapparus face à la louve, les bras croisés et le sourire aux lèvres. « …toujours à la ramener. » Je lui offris mon bras et la conduisis jusqu’à la limousine. En parfait gentleman, je lui ouvris la porte, la laissai s’installer et la rejoignis. Une bouteille de champagne nous attendait, soigneusement déposée dans un bain de glace. Je l’ouvris et en remplis une flûte. « Du champagne, ma douce ? » Suggérai-je à Natasia. Elle accepta volontiers et brisa mon espoir de la saouler et de profiter d’elle. Quel dommage !
La vitre noire censée nous séparer du chauffeur s’abaissa. Je coulai un regard oblique à ma cavalière et la priai d’indiquer notre destination. « Chez Alejandro. » Dit-elle. Le chauffeur hocha la tête, remonta la vitre, et démarra.

Je me servis un verre de champagne et tournai la tête vers Natasia. « Chez Alejandro ? N’est-ce pas un restaurant italien ? Ah ! Je n’ai jamais mangé italien. A l’époque où la mort me menaçait encore, je me contentais de… » Mes lèvres se pincèrent et mes yeux se plissèrent. Mieux valait ne pas raviver les anciennes douleurs. « Oh ! Oublie ! D’autres idées me viennent en tête… » Immédiatement, ma main glissa le long de la banquette et rejoignit la cuisse de ma douce. Cette dernière se hâta de se lover contre moi, et de murmurer ; « Sage ce soir, si tu veux pouvoir enlever ma robe… » Ses magnifiques prunelles scrutaient les miennes, comme si elles cherchaient à en déceler le moindre mystère. Mon hypnotisme ne fonctionnait plus, aussi la louve en profitait-elle. « Dans le cas contraire, je te jure que tu feras ceinture mon petit vampire et ça risque de ne pas être agréable pour toi… » Je couinai, tel un chiot victime d’un coup de pied, et lui présentai ma plus belle imitation du chat potté. « Tu me ferais ça ? Quel bourreau tu fais ! » Elle s’exila à l’autre bout de la banquette et me toisa. « Rrrr. » Ronronnai-je en levant la main et griffant dans le vide. « Tu m’excites. » Susurrai-je doucement, avant de boire une gorgée de champagne.

Nous arrivâmes à Londres. La lumière jaunâtre des lampes à sodium filtrait à travers les vitres teintées de la limousine. Elles se reflétaient sur ma peau et soulignaient à merveille sa blancheur cadavérique. J’avais besoin de me nourrir, et vite. Natasia m’offrirait-elle une coupe de son sang, en guise d’apéritif ? Je m’approchai doucement d’elle et roucoulai à son oreille. « Me ferais-tu l’honneur de goûter à ton sang ? » Le plus tendrement du monde, je léchai le lobe de son oreille. Un bruit de gorge absolument inhumain m’échappa et trahit la présence de ma bête. Cette chose tapie au fond de moi, assoiffée de sang et de péchés en tous genres. « Je te rendrai la pareille…ma douce… »